3 Septembre 2013
Revue ESPRIT - À quoi servent les partis politiques ? (2013 8)
BOUDIC Goulven, HAEGEL Florence et LECŒUR Erwan
Intéressante thèse que celle soutenue par l'historien du religieux Guillaume Cuchet dans le dernier numéro d'Esprit : les catholiques français seraient rentrés dans l'ère communautaire. Pour lui, la principale leçon qu'il faut tirer de la mobilisation de catholiques contre le mariage pour tous, tout le long de l'année dernière, c'est le remplacement dans la société française de la matrice culturelle commune — "l'Église" — par une "communauté" catholique, semblable à ses homologues juives ou musulmanes. Cette communauté catholique aurait sa sociologie propre : blanche, avantageuse, urbaine, connectée.
Guillaume Cuchet dans le premier temps de son analyse critique les thèses de la disparition du catholicisme dans la société française, qui s'étonnent ensuite de sa résilience — l'hypothèse du "catholicisme zombie" du dernier ouvrage de Le Bras et Todd par exemple*. Selon lui,
c'est confondre deux choses : l'ampleur du décrochage sociologique du catholicisme français depuis le milieu des années 1960, qui est incontestable, et l'avenir de ce même catholicisme, qui ne s'y laisse pas ramener, même s'il a changé d'échelle.
Par contre, il pointe de manière manifeste la marginalisation de ceux et celles qui ont formé les rangs des "cathos de gauche" et dont la période faste remonte désormais aux années 1970-1980 :
"ils sont aujourd'hui diminués, vieillissants et pas très aidés dans leur positionnement interne par une gauche laïque qui, désormais d'accord avec la droite sur la plupart des questions qui faisaient autrefois le vif de leur confrontation (économiques, sociales, constitutionnelles), ne se distingue plus vraiment d'elle que sur le terrain sociétal, où elle favorise des réformes difficilement compatibles avec la morale catholique traditionnelle, aussi élastique et susceptible d'évolutions qu'on la suppose.
Si le balancier du catholicisme repasse résolument à droite, Guillaume Cuchet ne suit toutefois pas monseigneur Dagens, qui s'est inquiété du retour des intransigeants dans une tribune de la Croix parue le 21 avril dernier. Pour l'historien, les "cathos" d'aujourd'hui ne sont pas réductibles à la frange de Civitas, qui incarne à ses yeux les héritiers de l'intransigeantisme du XIXe. Ils sont plutôt le fruit de l'esprit JMJ, pas forcément enracinés dans les débats historiques du catholicisme français, "modernes" dans la communication conservateur sur le terrain moral et social.
Enfin, Guillaume Cuchet part d'un paradoxe aux yeux de l'histoire : les catholiques français se sont retrouvé à défendre le mariage républicain honni au XIXe siècle et encore une bonne partie du XXe siècle. Comme en Italie, après Latran, "l'idéal catholique est longtemps resté le mariage religieux à effets civils" (p. 201). Pour lui, on ne peut comprendre ce curieux retournement qu'à la lumière du "nouveau seuil" de laïcisation (Jean Baubérot) que connaîtrait actuellement la société française :
Depuis les années 1960, [la laïcité] déroule les conséquences d'une nouvelle étape de son histoire [...] un "troisième seuil" (sociétal) de laïcisation, après le premier (politique) de la Révolution et le deuxième (social) des années 1880-1905 — qui correspond dans le domaine des questions de morale privée, à une forme de laïcisation de la laïcité. A contrario, le débat actuel révèle à quel point l'ancienne laïcité tenait encore à bien des égards au christianisme, dont elle était une produit de la sécularisation au carré que constitue le "mariage pour tous", le mariage civil traditionnel a pu apparaître pour les catholiques comme une ligne de repli acceptable où tenter d'arrêter le mouvement.
* Hervé Le Bras et Emmanuel Todd, Le Mystère français, Paris : Seuil, "La République des idées", 308 p.