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Penser le genre catholique

Ce blog cherche à réfléchir sur la place des corps et des sexes dans les enjeux de sécularisation auxquels doit faire face e christianisme occidental à l'époque contemporaine (XIXe-XXe), et plus spécifiquement la tradition catholique, depuis les années soixante (second féminisme, révolution sexuelle, émancipation des minorités sexuelles). Il s'intéresse également aux expériences militantes et associatives qui portent ces questions au prix d'une remise en cause des normes.

La Virilité chrétienne

Samson et Dalila, Joseph-Désiré COURT, 1821, Musée des Beaux-Arts de Paris.

Samson et Dalila, Joseph-Désiré COURT, 1821, Musée des Beaux-Arts de Paris.

Chaque semaine, deux sortes de réunions se tiennent : les unes rassemblent l'ensemble des adhérents, voire des sympathisants, les autres se limitent aux militants. Leur contenu se réfère au programme national. Par exemple, en 1942-1943, nous réfléchissons sur la virilité chrétienne nécessaire au milieu de la guerre.

  • Yves-Marie Hillaire, "Quelques moments forts de ma vie de jéciste", dans Bernard Barbiche et Christian Sorrel (dir.), La Jeunesse Étudiante Chrétienne 1929-2009, Chrétiens et sociétés, "Documents et Mémoires", 12, Lyon : LARHRA-RÉSÉA, p. 69

Dans un vaste témoignage, Yves-Marie Hilaire, spécialiste d'histoire religieuse (cf. biographique infra), revient sur ses années de "jéciste", c'est-à-dire militant d'Action catholique spécialisée à la JEC (jeunesse étudiante chrétienne).

Ce court passage m'interpelle à plusieurs titres. Tout d'abord, comme je l'ai déjà relevé sur ce blog ou ailleurs, il existe encore peu de réflexion sur la masculinité catholique à la différence de la féminité abordée à travers la sur-pratique féminine ou les éléments féminins de la piété au XIXe siècle.

Deuxièmement, un petit débat revient fréquemment dans le monde des études de genre sur la façon dont les hommes s'énoncent comme êtres sexués et sexuelles. Alors que les femmes peuvent se référer à un idéal féminin — "la Femme", "l'éternel féminin", etc. — les hommes s'énoncent peu à partir d'un idéal masculin théorisé. Par contre, ils parlent de "virilité". C'est du moins le parti-pris de la grande synthèse sur cette question proposée par Alain Corbin et Georges Vigarello :

Georges Vigarello présente l'Histoire de la Virilité sur le site de son éditeur le Seuil.

Ce choix lexical et scientifique de la virilité n'a pas fait encore l'unanimité. Par un souci de neutralisation axiologique, d'autres auteurs choisissent de se référer à la masculinité qui désamorce le potentiel dominateur et violent contenu dans la notion de "virilité"... Une étude de la masculinité permet de mieux concevoir les repoussoirs du modèle viril et hégémonique (les masculins efféminés, dépréciés racialement, ethniquement, sexuellement) et c'est davantage dans cette "école", s'il en s'agit véritablement d'une, dans la succession des travaux de Raewyn Connel, que je souhaite personnellement me situer dans mes travaux.

Je ne suis pas néanmoins contre le refus du vocable de la virilité à condition de la prendre comme une notion culturellement construite. Par son témoignage, Yves-Marie Hilaire nous rappelle bien que les jeunes hommes catholiques faisaient de la "virilité" un élément de formation. Dans un contexte de guerre de surcroît. Peu de travaux de synthèse malheureusement existe sur cette notion : du miles christi* médiéval aux Jeunes Gens d'Agathon** (dont on est à peu près certain aujourd'hui qu'il a été écrit par des membres de l'ACJF***) en passant par 'homme d'oeuvres type Frédéric Ozanam du XIXe siècle, il existe bien un modèle masculin d'engagement chrétien. L'homme chrétien idéal se veut disponible, obéissant à l'Église, engagé pour les autres et sa nation, etc.

* chevalier du Christ

** Agathon (pseudonyme) Les jeunes gens d'aujourd'hui : le goût de l'action, la foi patriotique, une renaissance catholique, le réalisme politique, Paris : Plon-Nourrit, 1913, 289 p.

***ACJF : Action catholique de la Jeunesse Française fondée en 1886 par Albert de Mun.

En préparant ce billet, je tombe d'ailleurs sur une référence qui m'était inconnue, visiblement la conférence d'un père dominicain sur la "virilité chrétienne" prononcée à Louvain :

P. Gillet, La Virilité chrétienne, Conférences Universitaires, Paris : Desclée, 1909, 442 p. (compte-rendu disponible dans un vieux numéro de la Revue néo-scolastique en ligne sur Persée).

Et à l'époque contemporaine ? si la virilité a disparu, peut-être sous la mise en avant du laïc terme neutre et ouvert aux deux sexes, il y a une exception dans la littérature magistérielle. Les papes contemporains (Jean-Paul II et Benoît XVI) parlent encore, au prix d'un sacré paradoxe, la "virilité" des prêtres comme je l'avais noté il y a quelques temps dans un article paru dans Lumière et vie.

Je pense que la littérature catholique sur la "virilité chrétienne" doit être abondante en langue française. Les premiers travaux de Carol Harrison sur les romans de zouaves pontificaux ouvrent sûrement la voie à d'autres... À quand une belle et grande, mais critique, histoire de la virilité catholique ?

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P
&quot;... si la virilité a disparu, peut-être sous la mise en avant du laïc terme neutre et ouvert aux deux sexes, il y a une exception dans la littérature magistérielle&quot;...<br /> Un bref commentaire pour m'étonner que soit mis sur le même plan la notion de &quot;laïc&quot; qualifié de &quot;terme neutre&quot; et les notions de &quot;sexes&quot; même pour argumenter autour de la &quot;virilité&quot;.<br /> Il me semble que le terme &quot;laïc&quot; va bien au-delà et dépasse de beaucoup eux qui correspondent au seul fait d'être un homme ou une femme.<br /> Il ne m'appartient pas d'entrer dans un débat de type historique (ce n'est pas ma compétence) en revanche le &quot;laïc&quot; dans l'Eglise aujourd'hui est plus qu'un &quot;terme neutre&quot; : il aura fallu tout un concile (Vatican II) pour développer ce qu'est l'essence du laïc (et du laïcat), sans oublier l'émergence depuis de longues années auparavant, de ce qui est aujourd'hui un point clef de la vie de l'Eglise (et dans l'Eglise) et qui d'ailleurs n'a pas encore atteint tout son développement. En effet la figure du &quot;laïc&quot; est trop souvent réduite à des fonctions exercées au détriment de la réalité du &quot;laïc&quot; (et du &quot;laïcat&quot;) qui n'est pas seulement une sorte de figure antithétique du clerc mais tout baptisé appelé à répondre de l'engagement qu'il reçoit du fait même du baptême qu'il soit homme ou femme et dans toutes les circonstances de sa vie quotidienne : personnelle, professionnelle, familiale, dans ses engagements sociaux divers … bref le laïc est vraiment pour reprendre une expression bien connue désormais « la pierre vivante » de l’édifice de l’Eglise. <br /> Sans doute avez-vous lu l'Encyclique que Jean Paul II a consacrée à ce sujet &quot;Christi fideles laïci...&quot;.<br /> Mais, j'en conviens, mon commentaire n'est pas de l'ordre de l'histoire mais plutôt de la théologie.
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