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Penser le genre catholique

Ce blog cherche à réfléchir sur la place des corps et des sexes dans les enjeux de sécularisation auxquels doit faire face e christianisme occidental à l'époque contemporaine (XIXe-XXe), et plus spécifiquement la tradition catholique, depuis les années soixante (second féminisme, révolution sexuelle, émancipation des minorités sexuelles). Il s'intéresse également aux expériences militantes et associatives qui portent ces questions au prix d'une remise en cause des normes.

Chrétiens de gauche et contestations de genre

9782021044089Même s'il ne s'agit pas de son objet d'analyse central, À la gauche du Christ, l'épais ouvrage dirigé par Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel offre quelques réflexions sur les contestations de genre pouvant accompagner l'organisation d'une culture politique de gauche chez les chrétiens depuis 1945. Dans le contexte nouveau né de la guerre, marqué pour les femmes par l'accès au droit de vote, les enjeux du féminisme se déplacent. Alors que des chrétiens se positionnent de façon inédite devant les guerres de décolonisation, la modernisation de l'industrie ou de l'agriculture, l'essouflement du paradigme marxiste et les recompositions des forces progressistes, comment les thématiques de l'égalité entre hommes et femmes ainsi que l'élaboration de nouveaux codes éthiques en matière de sexualité sont-elles intégrées dans l'émergence de cette gauche chrétienne? 

 

◊ Une trajectoire différente entre catholiques et protestant.e.s ? 

 

naissance-de-lassociation-la-maternite-heureuse-pour-le-pla.jpgLa différence entre catholiques et protestantes est-elle vraiment discriminante? Comme le rappelle Patrick Cabanel dans une notice consacrée au Mouvement Jeunes Femmes : "les progrès du féminisme en France ont souvent été liés à l'engagement des femmes appartenant aux minorités juives et protestantes" (p. 193). Née en 1946 d'un groupe de femmes protestantes soucieuses d'échanger sur leurs expériences, le Mouvement Jeunes Femmes acquiert par exemple une fécondité sociale plus vaste en faisant le choix d'une action laïque plus générale et devenant le lieu de diffusion d'un nouveau rapport au corps et à la fécondité à travers la diffusion des techniques de "l'accouchement sans douleurs" puis de la "planification des naissances".

       

Néanmoins à travers la figure de la gynécologue catholique Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallié, ancienne militante de la JEC et créatrice en 1956 avec la sociologue  (fille de pasteur) Evelyne Sullerot, de la Maternité Heureuse (l'ancêtre du mouvement du planning familial), Patrick Cabanel rappelle bien  qu'il ne s'agit pas que d'une histoire protestante : "si les protestantes étaient majoritaires à l'origine parmi les chargées d'accueil dans ses centres d'information, le Planning familial a su les faire travaille aux côtés de catholiques progressistes et d'une composante laïque et franc-maçonne, parvenant à faire de la contraception une question non plus religieuse, mais médicale, sociale, philosophique et féminine" (p. 194). La question féminine semble plutôt avoir traversé toutes les frontières confessionnelles ou politiques de la société française

 

R160086761.jpgToutefois, on trouve insitutionnellement peut-être davantage de protestantes à la tête des structures portant les enjeux du second féminisme, du contrôle des naissances au combat pour l'avortement, avec des femmes comme Simone Iff conseillère de Colette Audry dont Patrick Cabanel retrace le parcours. Mathilde Dubesset brosse aussi les portraits (pp. 403-404) d'Evelyne Sullerot et Francine Dumas, deux femmes issuses de milieux protestants et fortement engagées dans le Mouvement du Planning familial. On retrouve également un homme protestant, le juriste Jean Charbonnier, dans la mise à jour du code civil de 1804 des 1960 et 1970. Il rédige en effet les avant-projets de loi sur: le régime des biens entre époux (juillet 1965), l'autorité parentale qui remplace la"puissance paternelle" (juin 1970) et le divorce par consentement mutuel (juillet 1975).

 

Néanmoins, il n'est pas dit que d'autres femmes catholiques des mouvements d'action catholique ou de jeunesse, faute d'un.e historien.ne ayant mis en récit cette histoire, n'aient pas également elles-mêmes permis "la divulgation d'un savoir scientifique, une meilleure connaissance du corps féminin jusque dans sa jouissance, la déculpabilisation des femmes, le découplage de la sexualité et de la procréation (contribuant) à la sécularisation de la société française" (pp. 194-195). Franck Georgi offre ainsi une intéressante biographie (pp. 396-398) de Jeannette Laot qui à la commission féminine confédrale (CFC) de la CFTC, puis, à la CFDT, a un rôle important dans la diffusion des thématiques propres à l'émancipation des femmes. Reste à évaluer dans quelle mesure l'acceptation d'un processus modernisateur permis initialement par des valeurs religieuses s'est traduit parfois également par l'abandon de l'engagement religieux, ou la prise de distance avec les conformités doctrinales, au profit du seul idéal social de modernisation.

 

◊ Le double refus du conservatisme et de la dérive libertaire

 

I-Moyenne-4353-humanae-vitae-sur-le-mariage-et-la-regulati.jpegDans le récit que Jean-Louis Schlegel fait des événements entre 1962 et 1981, il analyse bien entendu la place des militants chrétiens dans les changements plus globaux qui affectent la société française dans son rapport au corps et à la sexualité. Selon l'historien, il ne faut pas voir dans la réaction des catholiques à l'interdiction de la contraception chimique contenue dans l'encyclique de mai 1968 Humanae Vitae une adhésion aux slogans les plus libéraux de la révolution sexuelle (p. 290). Il l'analyse plutôt comme 1) une contestation de type interne à l'égard de règles produites par des clercs ne ne les impliquant pas directement, 2) une forme de sécularisation : ce qui relevait jadis de la catégorie du "péché" est renvoyé vers le "problème" d'ordre personnel ou pyschologique. Si les catholiques semblent s'aligner globalement sur le reste de la population concernant la question du recours aux contraceptifs, l'IVG reste toutefois un point discriminant dans les années 1970. Même la CFDT, très sensible aux questions de la place des femmes dans le milieu professionnel, est beaucoup moins à l'aise sur la thématique de l'avortement (même si elle s'y rallie suite à l'action de Jeannette Laot). Jean-Louis Schlegel note également qu'il existe un écart fort entre les "catholiques de gauche" et "la dérive libertaire de Mai 68" qui peut-être souvent analysée par eux en termes de permissivité: "en général, les combats socio-politiques s'accompagnent généralement d'une grande discipline personnelle familiale et morale" (p. 292). Néanmoins, il pointe un écart entre cette génération et celle de leurs enfants, ses derniers se sentant beaucoup moins liés à l'éthique chrétienne traditionnelle en matière de mariage et de sexualité.

 

◊ La question de l'éthique sexuelle dans la crise des mouvements de jeunesse

 

Claude Prudhomme revient sur la crise spécifique des mouvements de jeunesse chrétiens dont certains éléments relèvent clairement d'une thématique de genre (pp. 323-340) et que l'on ne retrouve pas que dans les milieux confessionnels (cf. les jeunesses communistes). L'Action catholique spécialisée peine à s'adapter à l'émergence d'une jeunesse, qui conteste l'organisation en classes sociales (les "milieux" de la JOC, JAC-MRJC, JEC...) et repose de plus en plus dans les années soixante sur le conflit latent ou ouvert de génération, notamment en matière d'éthique sexuelle. On la retrouve dans le mensuel étudiant Le Cri auquel collabore la JEC qui publie en décembre 1965 un dossier dans lequel est réclamé l'abrogation de la loi de 1920 (qui interdisait la contraception) et la légalisation du Planning Familial. Au même moment à peu près, les protestants connaissent une affaire similaire dans le bulletin des étudiants  Le Semeur qui est l'organe de la Fédération française des associations chrétiennes d'étudiants (FFACE) "la Fédé". Claude Prudhomme souligne, rétrospectivement, la "virulence" des bulletins de 1963-1964. Le numéro de Noël 1963 associe sur un mode potache la contestation politique à la contestation éthique. Dans un article (écrit sous pseudonyme) le jeune Jean Baubérot oppose "les transgressions morales et religieuses de Jésus Christ" et la conduite du protestant type "homme arrivé, moral, édifiant". Un second propose "une éthique sexuelle relationnelle subordonnée à a réussite du couple, qui n'implique pas forcément une exclusivité des relations sexuelles" (cité p. 348). Le numéro aboutit à une crise très forte avec les autorités de tutelle protestantes et se prolonge dans une réfléxion de type théologique sur le pouvoir ainsi que les rapports envisageables entre la foi et la politique, notamment lors de l'assemblée générale du protestantisme à Grenoble en 1969.

 

Du côté catholique, si le document publié par l'épiscopat en 1972 Pour une pratique chrétienne de la politique (le "rapport Matagrin") consacre le principe du pluralisme politique des catholiques et leur désaffranchissement possible de la droite et de la démocratie chrétienne, il n'est déjà plus à la hauteur des attentes et ne répond pas à l'insatisfaction des contestaires. Sous le pontificat de Jean-Paul II, alors que les chrétiens des nouvelles communautés prennent leur distance avec le politique, surtout quand il est de gauche, et que le Magistère condamne les réformes réclamées par la gauche en matière de moeurs et de sexualité, les "cathos de gauche" sont encore plus marginalisés sur ces questions. Ils "ont le sentiment que, pour l"Église, l'adhésion aux positions pontificales dans ces domaines est devenue plus importante que la lutte pour la justice sociale. Pour certains, le caractère absolu de telles interventions qui mettent fin à tout débat n'est pas acceptable" (p. 340). Mais, sur ce point, Claude Prudhomme note que "la critique précède la prise de distance avec une institution dans laquelles ils ne se reconnaissent plus" (idem). Là encore, l'historien tend à souligner qu'il n'y a pas forcément un alignement net des catholiques sur les positions laïques ou extrêmes mais plutôt que la carence d'un discours théologique alternatif aboutit à une prise de distance ou des accommodements socialement difficilement identifiables.

 

◊ Un féminisme chrétien à gauche ?


Un court article de Mathilde Dubesset essaie de conceptualiser une féminisme chrétien de gauche. Dans les années soixante, l'implication des chrétiennes dans les mouvements d'amélioration de la condition féminine "dépasse cette orientation confessionnelle" (p. 399) même si on les retrouve spécifiquement dans l'Union Féminine Civique et Sociale (UFCS), proche des catholiques, ou le Mouvement Jeunes Femmes (MJF), issu du protestantisme. Mais "ces militantes ne se reconnaissent pas toutes dans le 'féminisme', associés, encore dans les années 1960, à l'histoire déjà lointaine des suffragettes, puis, dans les années 1970, aux formes radicales du Mouvement de libération des femmes (MLF), animé par la génération du baby boom arrivée à l'âge adulte" (p. 400). Dans l'après-guerre, l'UFCS accompagne les Françaises vers la citoyenneté (par des réunions de formation, des brochures, appel aux candidatures) dans le sillage des positions du MRP tout en restant en marge de la question du controle des naissances qui surgit dans le débat public en 1956. Ses positions ne se démarquent pas de celles de Rome ou des évêques.

 

Mais dans les années soixante, "un virage se produit". En 1965, l'UFCS se déconfessionalise, un groupe d'études sur la régulation des naissance est crée et l'association prend parti contre la loi de 1920. Des femmes émergent publiquement dans la critique des positions du magistère : Cécile de Corlieu, "féministe chrétienne" active dès l'entre-deux-guerres, ou Geneviève Texier, agrége de philosophie et auteure avec Andrée Michel en 1964 de La Condition des Françaises aujourd'hui. Evidemment, rameau féministe chrétien à l'intérieur du catholicisme, Femmes et hommes dans les Églises est cité par l'historienne. Né en 1962, le Mouvement démocratique féminin (MDF) rassemble des militantes de la gauche radicale et socialiste dont certaines issues du MJF, du PSU et de la CFDT comme Jeannette Laot, Renée Dufourt, Odile Sicard dont Mathilde Dubesset trace d'intéressants parcours. On saura toutefois gré à l'historienne de rappeler que le fait d'être une féministe chrétienne ne conduit pas automatiquement à un engagement politique à gauche.

 

pgc°037Se retrouvant dans  la nécessité d'établir des biographies (selon la même méthode que celle que j'avais dû employer pour les religieuses), l'historienne montre combien il est difficile au final en France de saisir un féminisme chrétien "par comparaisaion avec le monde anglo-saxon où la marque protestante est visible et parfois revendiquée par le féminisme américain ou britannique" (p. 409). Le fait que l'Église catholique n'ait jamais entendu les revendications féministes à propos des ministères ou de la contraception, que le discours romain s'appuie sur "une morale de la nature" alors que le second féminisme dans le sillage de Beauvoir développe une approche critique et déconstructiviste de cette dernière, a de surcoît marginalisé leurs positions même si les "féministes chrétiennes" n'ont pas toujours abandonné la foi (p. 410). Plusieurs notices réalisées par Mathilde Dubesset sont aussi extrêmement intéressantes, même si elles synthétisent surtout des travaux déjà existants, sur la réaction des catholiques devant Humanae Vitae, la théologienne France Quéré ou Femmes et Hommes en Église.




CHAPERON, Sylvie (2000) "Le Mouvement Jeunes Femmes, 1946-1970 : de l'Évangile au féminisme", dans Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français, 1, pp. 153-183.

 

PELLETIER, Denis et SCHLEGEL, Jean-Louis (2012) À la gauche du Christ : les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Paris : Seuil, 614 p. 

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