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Penser le genre catholique

Ce blog cherche à réfléchir sur la place des corps et des sexes dans les enjeux de sécularisation auxquels doit faire face e christianisme occidental à l'époque contemporaine (XIXe-XXe), et plus spécifiquement la tradition catholique, depuis les années soixante (second féminisme, révolution sexuelle, émancipation des minorités sexuelles). Il s'intéresse également aux expériences militantes et associatives qui portent ces questions au prix d'une remise en cause des normes.

Céline Béraud et alii (2012) Catholicisme en tensions (II)

Le deuxième axe important et novateur de l'ouvrage Catholicisme en tensions est sans nulle doute la réflexion sur les enjeux de corps et de sexualité dans la sécularisation. Depuis 1968 et la condamnation de la contraception par l'encyclique Humanae Vitae, l'intransigeance catholique se déplace aujourd'hui vers les enjeux bioéthiques, pourquoi ? Deux articles pour le comprendre : celui de Denis Pelletier et celui d'Isacco Turina.

 

♣ Le concept de République de l'intime (Denis Pelletier)

 

« Le corps, l'intime et la différence des sexes se présentent ainsi comme des enjeux de tout premier plan, non seulement pour l'Église catholique mais également pour les États. Se posent la question de la régulation des évolutions rendues possibles par les progrès de la science d'une part, l'extension du contrat à de nombreuses sphères de l'activité sociale d'autre part. Dans cette perspective, la "loi naturelle", concept cher à Thomas d'Aquin, se trouve réinvestie et largement mobilisée dans l'argumentaire catholique (...) Délimitant le licite de l'illicite, elle s'oppose à toutes les formes de relativisme. » (p. 177) 

 

L'une des contributions les plus marquantes est sûrement celle de Denis Pelletier: « les Évêques de France et la République de l'intime ». L'historien note que depuis les années soixante-dix les évêques français sont les partisans de la laïcité. Ils ont aussi autorisé le pluralisme politique des catholiques (1). Après le Concile était sûrement apparu le besoin de réapprécier la politique dans un catholicisme français encore marqué par la condamnation de l'Action Française de 1926 et du refus prudentiel et emphathique du "politique d'abord". Durant la même période, l'école ne devient plus un débat clivant, surtout après les échecs, d'une part, du projet Savary d'une école publique pour tous (1982) et, d'autre part, du projet Bayrou d'accroître le financement public des écoles privées (1993-1994). L'apaisement prévaut donc... sauf sur plan : « Lorsqu'un débat paraît mettre en cause sa conception de la nature » (p. 179), en l'occurence 1) la contraception chimique et l'avortement, 2) le PACS, le mariage et l'adoption ouverts aux couples de même sexe, 3) la procréation médicale assistée.

 

 

MLF_1982.jpgSi cela est finalement bien connu, Denis Pelletier souhaite renouveler la lecture de l'écart grandisant entre les évêques et ce qu'il appelle la société des individus: Il est tout d'abord le reflet du brouillage de la sphère de l'intime et de la spère du politique ; les idéaux de libération de la société française, qu'on réduit parfois à un "laisser moi faire ce que je souhaite de mon corps"  loin de se traduire par un effacement des corps de l'espace public, en font, tout au contraire un enjeu. L'intime - la sexualité, les méthodes de contraception, la fécondation - devient un enjeu public de débat et de changement législatif.  

 

Denis Pelletier trace l'histoire de cette évolution. De 1967 (adoption de la loi Neuwirth qui autorise la commercialisation des contraceptifs chimiques) à 1975 (loi Veil dépénalisant l'avortement) :

 

« le corps féminin se déplace vers le centre du débat politique, la question devant l'avortement devient une dimension essentielle de l' "utopie 68" de libération des corps". Si la classe ouvrière était au centre des années quarante et cinquante sur la modernisation et l'émancipation de la société française, c'est désormais le corps, et tout particulièrement celui de la femme qui porte les enjeux de l'émancipation collective » (p. 180)

 

L'Église, bien présente sur le combat ouvrier finalement avec ses prêtres au travail ou ses réseaux missionnaires, ne suit pas la société française sur cette utopie. Sur la contraception les évêques ont pu aménager pastoralement l'accueil de l'encyclique Humanae Vitae (1968) (condamnation des contraceptifs chimiques) comme ils avaient pu le faire avec le décret du Saint-Office sur le communisme en 1949, c'est-à-dire en en atténuant la portée pratique. Il n'en va pas de même avec l'avortement continument critiqué par les évêques français. Il en est de même avec le projet de loi autour du PACS en 1999 (et aujourd'hui celui autour de l'ouverture du mariage aux couples homosexuels).

 

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Manifestation de catholiques anti-PACS en 1999 (Nouvel Observateur)

 

Face à cela, la réaction des évêques est à la hauteur de ce qu'elle avait pu être en 1905 au moment de la Séparation. Il faut dire que l'intime est un espace dans lequel le catholicisme joue un rôle fort : 

 

« Il faut ici réfléchir à la façon dont un certain nombre d'événements de la vie intime, qui ont à voir avec la vie, la mort, la maladie, ont définitivement échappé au registre du salut pour relever désormais du registre de la santé, en sorte que les clergés s'en trouvent dépossédés au profit du corps médical auquel le politique délègue une part de son pouvoir sur les corps tout en assurant une régulation à distance. » (p. 184)

 

L'euthanasie peut ainsi être lue comme une sécularisation du sens de la mort. Autrefois signe d'élection ou de punition, elle est aujourd'hui intégrée au souci de soi et de son corps duquel on voudrait écarter la souffrance inutile. La notion rédemptrice de cette dernière a complètement disparu. 

 

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L'Extrême-Onction, peinture de l'École flamande (v. 1600) (Wikipédia)

 

Encore plus intéressant peut-être, les analyses de Denis Pelletier autour de l'essor de la thématique de l'Évangile de vie. Comment comprendre que l'épiscopat, à la suite de Jean-Paul II, voit une continuité dans des problèmes éthiques différents comme la contraception, la procréation médicalement assistée ou l'euthanasie ?

 

« Après avoir formulé leur opposition à la loi Veil en terme de respect de l'embryon comme personne humaine (les évêques français) voient dans les débats sur le clonage thérapeuthique et l'utilisation des cellules souches un prolongement de la dérive ouverte des années 68 au nom de l'émancipation des corps » (p. 185)

 

En conclusion, l'historien s'interroge sur les limites de la défense coûte que coûte d'un ordre naturel, sur le risque de creuser « le fossé entre la parole de l'Église et le vécu quotidien ». L'ordre naturel n'a pas fait l'objet d'une étude critique pour réévaluer ce que recouvrait la nature dans la pensée théologique classique et peut sembler parfois, dans la lignée des travaux de Mary Douglas (1), comme une légitimation plus ou moins articielle d'un ordre social menacé. 

 

♣ Notes

 

(1) DOUGLAS, Mary (2004) Comment pensent les institutions ? Paris : La Découverte, 218 p.

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A
ne tombez pas, Anthony, dans le schéma : "les historiens racontent, les sociologues expliquent"...même s'il a une grande (?) part de vérité (!) Il faut que je reprenne mon commentaire quand j'aurai<br /> examiné le livre. Ce qui ne va pas tarder. Et surtout "age quod agis", la perspective historique appliquée à des objets complexes et risqués, tels que vous les avez choisis, est un instrument de la<br /> critique et de la démocratie. De mon côté, je voudrais échapper à la condescendance et au paternalisme que mon grand âge n'absout pas réellement.
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A
<br /> <br /> Vous avez pour vous au moins la franchise et l'intérêt que vous portez à mes travaux ! Vous visez assez juste sur la façon dont on peut problématiser (ou pas) la question du genre dans le champ<br /> catholique. Il est plus que tentant d'y importer un schéma de pensée du changement exogène (sécularisation) qui, en retour, recompose les éléments (sécularisation interne). Je me demande aussi si<br /> les questions de modernisation/sécularisation ne sont pas non plus la colonne vertébrale de toute la sociologie de religion de Weber mais aussi jusqu'à Poulat et son schéma intransigeantiste ou<br /> Marcel Gauchet, il est difficile d'aller contre nos maîtres à penser... Mais dès que vous aurez lu le livre, n'hésitez pas à compléter votre avis ! Je précise juste que je me suis concentré sur<br /> des articles au fil de mes lectures qui m'intéressaient, il en est d'autres qui mériteraient sûrement une étude plus approfondie (celui sur René Rémond ou l'étude de cas du pèlerinage à Sainte<br /> Rita dans le nord de la France). <br /> <br /> <br /> <br />
A
Cher Anthony,<br /> je reproduit ce commentaire, car lors de la parution du premier article, j'ai sans doute cliqué au mauvais endroit<br /> .....!<br /> Merci d’abord pour la conférence sur le genre, parvenue sur mon « bureau » par le blog. C’est sur le compte rendu de Catholicisme en tension que je viens vous soumettre amicalement une réaction. Je<br /> n’ai pas encore lu le livre, car d’autres dossiers attendent. Mon commentaire est donc imprudent ; votre présentation est enthousiaste quoi que « matter of fact ». À vous lire, – ainsi que d’autres<br /> présentations vues ailleurs – amon sentiment sur ce livre est fait de perplexité et d’impatience.<br /> « Quel programme pour un sociologie du catholicisme en France aujourd'hui ? ». Danièle Hervieu-Léger a raison, mais elle ne manque pas de culot après avoir, dans La Fin du Catholicisme - un peu<br /> testamentaire – suggéré qu’il n’y avait plus grand-chose à en dire. D’autre part, à se réunir si nombreux pour parler de cet « objet » on n’a pas une grande probabilité – ce me semble – de bâtir un<br /> programme scientifique homogène ; ce que me confirme chaque visite sur les sites des « groupes » qui travaillent sur le religieux en général et le catholicisme en particulier. À moins que par<br /> programme on doive comprendre catalogue de recherches. Coordinatrice de ce rassemblement, Céline Béraud m’avait déjà surpris par une sociologie très anorectique vis-à-vis des « concepts », et votre<br /> papier risque de me convaincre de la justesse de mon sentiment, et de le généraliser pour la sociologie des religions.<br /> Avant d’en venir à celle-ci, je dois dire que je suis surpris de constater la marginalisation de cette branche de la sociologie dans les débats qui traversent les sciences sociales depuis la mort<br /> de Pierre Bourdieu – pour prendre une référence commode. N’étant pas omniprésent et encore moins omniscient je peux me tromper. Il faut dire aussi que les sociologues comme les autres ne sont pas à<br /> l’abri de cumuler ignorances et préjugés sur la religion. La division du travail universitaire fait le reste. Mais il est un peu fort de café de lire sous la plume de Bernard Lahire (Monde pluriel.<br /> Penser l’unité des sciences sociales), des discussions intéressantes sur Bourdieu, le champ et l’habitus, avec des échos précis sur l’école, la culture, la ville…Mais pas une référence à un écrit<br /> des sociologues de la religion et encore moins une simple évocation de l’objet…<br /> Si j’en viens à ce que vous rapportez du traitement du catholicisme par ceux qui en font la science, je me demande si l’on ne ressasse pas un peu dans ce monde ! Le couple catholicisme et modernité<br /> a une noble localisation chez Weber et Durkheim, mais quand même : est-ce que cela ne souffre pas un peu d’une légère soumission à la problématique interne du catholicisme ; à moins qu’il ne<br /> s’agisse d’une sorte de préjugé : le religion est la première victime de la modernité ? Qui nous écrira à propos du catholicisme et mimant le geste de François Furet : « la sécularisation est finie<br /> » ? Ou à l’instar de Bruno Latour, « nous n’avons jamais été modernes, pas plus que catholiques… ». Céline Béraud et ses collègues dont vous citez l’introduction ne sont-elles pas les victimes<br /> consentantes d’une sorte de « roman familial » ? La dialectique : « ouverture », mise en crise, « reflux identitaire » ne doit-elle pas beaucoup à l’intellectualisation, par toutes sortes de<br /> clercs, d’une situation qui ne cristallise que dans le sommet du champ, comme eût dit Bourdieu et impose ses catégories de pensée à tous…Je serais tenté de penser que ce schème est un vrai obstacle<br /> à la compréhension du catholicisme et que rien n’est plus urgent que d’en faire la critique. Mutatis mutandis, c’est un peu comme si l’on traitait l’école en se contentant de la penser avec le<br /> schème de la démocratisation ; ou comme si dans le domaine culturel on se passait de la critique réalisée par Passeron et Grignon dans le Savant et le populaire.<br /> En important – c’est du moins mon impression – dans la sociologie du catholicisme le positivisme de la science politique, je ne trouve pas que Ph. Portier nous fasse faire un grand progrès par<br /> rapport à Siegfried et à son Tableau centenaire ou presque. J’apprends plus en le relisant, ou dans la thèse de Bensoussan sur les droites bretonnes » entre les deux guerres…que dans la typologie<br /> de Portier, qui me laisse l’impression d’une version savante de La Vie, TC ou Golias. J’exagère un peu, mais quand même ! Où sont des concepts à la Crozier tels que « intérêts », « stratégie »,<br /> pour ne pas revenir sur champ et habitus… ? Je sais combien ces références peuvent se muer en bulldozers ; je pense non moins que la plume de Danièle Hervieu- Léger tombait platement dans ce<br /> travers.<br /> Alors, si je songe à l’enjeu anthropologique dont vous êtes en train de vous saisir avec la question du « genre », je me demande si votre empathie pour la posture de Tensions est bonne conseillère.<br /> Allez de ma part raconter votre travail à Luc Boltanski, qui et à mes yeux le meilleur « constructeur d’objet ». Je serais étonné que vous rentriez bredouille.<br /> Les conseilleurs n’étant pas…Je vous livre ce billet d’humeur pour le prix de l’emplette. Et faites-en donc ce que bon vous semble.
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A
<br /> <br /> Je vous remercie pour votre commentaire dense qui apporte peut-être un peu de dimension critique à mon billet qui était peut-être un peu trop enthousiaste ;) À vous lire, je prends conscience que<br /> je l'ai sûrement lu en historien peut-être pas sensible en effet à une réflexion plus globale sur la sociologie des religions prise dans l'éternelle problématique de la modernité... Je garde bien<br /> en tête votre remarque. <br /> <br /> <br /> <br />