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Penser le genre catholique

Ce blog cherche à réfléchir sur la place des corps et des sexes dans les enjeux de sécularisation auxquels doit faire face e christianisme occidental à l'époque contemporaine (XIXe-XXe), et plus spécifiquement la tradition catholique, depuis les années soixante (second féminisme, révolution sexuelle, émancipation des minorités sexuelles). Il s'intéresse également aux expériences militantes et associatives qui portent ces questions au prix d'une remise en cause des normes.

Céline Béraud et alii (2012) Catholicisme en tensions (I)

couvberaudgugelot_catholicisme_1.jpg« Quel programme pour un sociologie du catholicisme en France aujourd'hui ? » Telle est la question fort pertinente que pose Danielle Hervieu-Léger dans la préface de l'ouvrage issu principalement du grand colloque Catholicisme qui a eu lieu à l'EHESS les 19-20 juin 2008. J'ai eu personnellement la chance d'assister à ces deux jours de colloque et je dois dire que j'attendais avec une certaine impatience les actes ! Pour ceux et celles qui en seraient restés aux cartes de pratique religieuse du chanoine Boulard, Catholicisme en tensions peut être une excellente lecture pour se mettre à jour! Loin de se réduire à l'analyse des écarts entre les textes officiels et les comportements réels, ou à la sempiternelle question de la politisation des catholiques à gauche ou à droite, la sociologie française du catholicisme connaît un renouveau autant de ses sujets que des ses méthodes. Le service de chœur ouvert aux jeunes filles, l'hotellerie monastisque et sa clientèle laïque, les synodes diocèsains, les commandes d'art sacré, la place des diacres, la dévotion contemporaine à sainte Rita, les chansons para-liturgiques en usage dans les obsèques religieuses constituent autant de portes d'entrée vers les négociations quotidiennes et les accommodement qu'opère le catholicisme et modernité.

 

A-Rome-Francais-et-Italiens-dialoguent-sur-le-Concile-Vatic.jpgCatholicisme et modernité voilà bien justement le duo conceptuel qui sous-tend toute la réflexion cet ouvrage. Céline Béraud, Frédéric Gugelot et Isabelle Saint-Martin, qui le dirigent, notent en introduction : « Le catholicisme s'inscrit (...) dans une tension entre ce qui est du "monde" et ce qui est de Dieu, tentant, coûte que coûte, de répondre aux défis contemporains ». Or, confronté au monde « le catholicisme oscille entre un premier courant qui se définit contre la modernité par l'affirmation résolue d'une identité catholique et un deuxième qui parie sur l'insertion dans les réalités sociales et culturelles de son temps pour les irriguer. Quand l'Église affirme son message, elle vise à préserver son emprise sur ses fidèles mais tend à se réduire à des noyaux communautaires. Quand elle l'historicise, le lien se distend et les départs se multiplient. L'échec pastoral conduit alors à un renfermement sur une logique identitaire et confessante ». Cette dialectique est d'autant plus vraie qu'avec le concile Vatican II (1962-1965), l'Église, après un XIXème siècle structuré autour de la ligne d'intransigeante avec le monde moderne, a pris le risque de la seconde voie. Aujourd'hui, plus que jamais, elle hésite entre les sécurités de la première et l'audace dangereuse de la seconde.

 

L'ouvrage illustre cette tension à travers diverses publications organisées dans quatres parties intitulées « État des lieux nationaux », « Clergé, pratiques, croyances », « Corps, genre et intimité », « Culture et catholicisme ». Sans rendre compte exhaustivement de la diversité foisonnante de cet ouvrage, nous nous arrêterons ici sur deux thématiques qui nous intéressent particulièrement: les logiques contemporaines de sécularisation et la question du corps, du genre et de la bioéthique.

 

♣ La tension structurante du catholicisme entre pluralisme et unité (Philippe Portier)

 

Dans un magistral article, le politogue Philippe Portier offre un panorama extrêmement pertinent du catholicisme français contemporain. Il rappelle d'emblée que la sociologie a pendant longtemps appréhendé l'entrée du catholicisme dans la modernité selon deux modèles :

  • un modèle unitaire qui insistait sur la cohérence des fidèles catholiques autour d'une conception de l'existence et des rapports sociaux, une conception globalement familialiste, attachée à la propriété et l'ordre social. Il associe à cette ligne les travaux désormais un peu anciens de Guy Michelat et Michel Simon Classe, Religion et comportement politique de 1977, ou bien encore, dans un autre registre, ceux d'Émile Poulat autour de l'intransigeantisme (1).
  • un modèle davantage attaché à montrer la diversité du catholicisme français auquel il associe René Rémond et son célèbre article de 1958 "Droite et gauche dans le catholicisme français" ou les travaux plus récents de Jean-Marie Donegani (2). 

 

Mais le politologue complexifie les deux modèles en pointant plutôt un jeu entre deux mouvements : 

« L'un concerne la base de l'Église, l'autre le sommet. "En bas" s'est imposé une logique de la pluralisation ; le peuple chrétien, même dans les couches les plus intégrées à l'appareil s'est volontiers dissocié du logos de l'insitution pour se laisser conduire désormais dans la dissémination de ses positions, par sa seule "capacité herméneutique". "En haut", à l'inverse, s'est pérénisée, et sans doute consolidée en fin de période, une logique de consolidation, s'exprimant, malgré des emprunts à la sémantique de la modernité, dans les codes persistants de l'épistémé intégraliste. » (p. 20)

 

Le catholicisme ne parviendrait en fait plus à l'unité mais serait touché à sa base par une profonde dissémination du croire. Philippe Portier rappelle les principes étapes de cette désinstitutionnalisation. Elle s'est tout d'abord illustrée par la prise de distance avec la normativité en matière de pratiques (l'assistance à la messe) puis de dogmes qu'il appelle "désécclésialisation". Dans les yeux des catholiques, l'Église produit de plus en plus une opinion parmi d'autres, même si elle reste estimée. Puis, l'individualisation du croire va plus loin:  les contemporains construisent des relations de sens à partir de leurs seuls subjecvtivités, ce qui peut aboutir aux credos parfois surprenants que révèlent les sondages d'opinion (53% des personnes se déclarant catholiques ne croient pas en Dieu aujourd'hui en France).

 

Si la grande masse des catholiques s'est détachée, Philippe Portier n'ignore pas le petit reste de "militants" que la hiérarchie de Léon XIII à Vatican II est parvenu à maintenir jusqu'à ce qu'il rentre lui-même en crise dans les années 1965-1975. Une rupture se produit à ce moment sans que l'Église ne soit parvenu à rétablir la situation antérieure. De cette époque, il resterait au contraire une brisure entre deux réseaux d'intelligences du monde encore peu concilables aujourd'hui : 

 

  • le réseau des catholiques d'ouverture qui dans les années 1960-1970 représentaient l'aile marchante du catholicisme et aujourd'hui peine à se renouveler. Il s'organise toujours autour de l'Action catholique, des Semaines Sociales animées par Jérôme Vignon, l'association des intellectuels catholiques Confrontations. Ils disposent de leur revue avec Économie et Humanisme, Lumière et Vie, Études, Témoignage Chrétien, de leur théologiens référents comme Paul Valadier, Maurice Belley ou Joseph Moingt, et apprécient un évêque comme Albert Rouet. Avec les réseaux du Parvis, il existe une frange plus contestataire. Dans le sillage de la philosophie de Kant et de Mounier, leur conception de l'État est dissociée de la loi naturelle : « l'autorité publique se trouve placée chez eux au seul service des indépendances privées » ce qui leur permet d'avoir un discours large en matière familiale mais demande une intervention forte de l'État pour réguler la liberté de marché. La critique de la hiérarchie s'affaiblit parmi eux au profit d'une tendance plus spirituelle.

 

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Rassemblement "le Temps est venu" organisé par les Réseaux du Parvis, Lyon, novembre 2010.
  • le réseau des catholiques d'identité nés en réaction à une Action catholique trop politisée dans les années quatre-vingt avec le soutien de la hiérarchie. Philippe Portier en distingue deux sous-groupes à partir de l'émotion religieuse : les "charismatiques" autour des communautés nouvelles de l'Emmanuel, du Chemin Neuf ou des Béatitudes et les "restitutionnistes" autour de l'Opus Dei, la communauté Saint Martin, la congrégation de Saint Jean et les réseaux des Foyers de la Charité. Ils disposent également leur presse avec Famille chrétienne ou les revues de théologie Képhas et Communion. Leur théologie est volontiers déductive et ne part pas du vécu. Elle emprunte volontiers à Josef Ratzinger ou Hans Urs von Balthazar, n'est pas nostalgique des temps anté-démocratiques mais n'adhère pas totalement à la civilisation de l'autonomie du politique. La thématique d'une Église "defensor civitatis" fait barrage à l'affirmation d'une subjectivité souveraine et l'adhésion au Magistère y est à ce titre centrale. Ce sont ces groupes qui adhèrent volontiers à la thématique de la "Nouvelle Évangélisation" développée par Jean-Paul II et Benoît XVI. Mais l'enclave d'objectivisme qu'ils veulent être dans une modernité subjective a parfois ses limites, en leur sein, ils sont travaillés par des processus de subjectivisation : « ils adhèrent de manière volontaire à une communauté souvent placée en dehors de l'emprise du diocèse ».

 

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Synode du diocèse de Versailles en 2012 (Paroisse du Chesnay)

Au cœur de ce processus, on trouve bien entendu l'épiscopat, passant, selon Philippe Portier, du "gouvernement" à la "gouvernance" c'est-à-dire au dialogue et à l'arbitrage entre de multiples acteurs. Des lieux d'échanges entre fidèles et évêques ont ainsi vu le jour comme les synodes ou les conseils diocésains qui sont des lieux de négociation entre le Magistère et la société sécularisée. L'épiscopat français cherche d'ailleurs à donner une image de lui en dialogue avec la société. Il cultive d'une certaine manière le sens du dialogue, par exemple dans les rapports de la Conférence des Évêques de France de 2009 Proposer la foi dans le monde actuel ou Bioéthique propositions pour un dialogue.

Philippe Portier nuance sur deux points au moins cette ouverture. Elle rejoint tout d'abord une logique indispensable dans le code démocratique libérale contemporain qu'il est impossible d'éviter. Il récuse également l'image d'un catholicisme auto-géré. Si diversité existe, ce n'est que « dans la dépendance des significations magistérielles »« L'institution religieuse rejoint là l'institution politique : en son sein, les logiques de négociations ne remettent pas en cause le pouvoir de décider ; elles en renouvellement simplement les conditions d'actualisation » (p. 33).  In fine, que ce soit dans la paroisse ou dans le diocèse, le prêtre ou l'évêque reste celui qui veille à la conformité à la norme catholique.

 

C'est pourquoi, Philippe Portier parle davantage du passage d'une « pluralité confuse du catholicisme »  à une « pluralité ordonnée ». Dans l'après-Concile (1968-1975), les militants catholiques se concevaient avant tout comme le sel de la Terre. Ils refusent tout triomphalisme et ne veulent pas se distinguer des autres « dans la construction d'un nouveau monde qu'on espérait socialiste » (p. 34). Mais Rome rappelle que la foi s'explicite publiquement à travers l'encyclique Evangelii nuntiandi (1975) de Jean-Paul II acclimatée en contexte français par les rapport de monseigneur Defois Perspective missionnaire (1981) ou de monseigneur Dagens Proposer la foi dans la société actuelle (1996) (3)... De plus, l'obéissance est explicitement demandée aux fidèles sur les points inaliénables des propositions catholiques. Il existe bel et bien un « espace non négociable de véridicité » qui retrouve principalement le statut de l'embryon et les questions d'éthique sexuelles (la contraception chimique). 

 

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L'ouvrage de Catherine Grémion et Hubert Touzard ayant fait l'objet une note de la commission doctrinale de la Conférence des Évêques de France en 2006, limite du pluralisme interne du catholicisme ? 


En définitive, le catholicisme français semble polarisé par des évêques qui aménagent la pluralité sans transiger sur le fond... Philippe Portier remarque que si on peut l'interpréter comme une faiblesse du centre qui ne parvient pas à imposer une norme, il s'agit également d'un moyen qu'a trouvé l'Église romaine pour « pouvoir se maintenir loin de la précarité qu'on lui prête parfois dans une certaine co-extensivité de la société français » (p. 36).

 

À suivre : le catholicisme aux prises avec la politisation de l'intime ? 


♣ Notes:

 

(1) MICHELAT Guy et SIMON Michel (1977) Classe, religion et comportement politique, Paris: Presses de la Fondation des Sciences politiques, 498 p. ; POULAT, Émile (1977) Église contre bourgeoisie, introduction au devenir du catholicisme actuel, Paris : Casterman, 290 p.

 

(2) RÉMOND, René (1958) "Droite et gauche dans le catholicisme français", Revue française de science politique, 8-4, pp. 803-820 et DONEGANI, Jean-Marie (1993) La Liberté de choisir : pluralisme religieux et pluralisme politique dans le catholicisme français contemporain, Paris : Presses de la Fondation des Sciences politiques, 485 p.

 

(3) DAGENS, Claude (1996) Proposer la foi dans la société actuelle, Paris : Éditions du Cerf, 129 p.


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