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Penser le genre catholique

Ce blog cherche à réfléchir sur la place des corps et des sexes dans les enjeux de sécularisation auxquels doit faire face e christianisme occidental à l'époque contemporaine (XIXe-XXe), et plus spécifiquement la tradition catholique, depuis les années soixante (second féminisme, révolution sexuelle, émancipation des minorités sexuelles). Il s'intéresse également aux expériences militantes et associatives qui portent ces questions au prix d'une remise en cause des normes.

Céline Béraud et alii (2012) Catholicisme en tensions (III)

AVT Michel-Foucault 4191Peut-on lire le catholicisme à partir du concept de bio-pouvoir de Michel Foucault? Voici le pari intellectuel audacieux d'Isacco Turina qui signe dans Catholicisme en tensions un article intitulé « Le Magistère post-conciliaire face au bio-pouvoir » (pp. 191-202). Comme Denis Pelletier, ce dernier s'interroge: comment comprendre la place grandissante de la sexualité dans le Magistère catholique? Il souhaite lire cette emphase à partir du concept foucaldien de contrôle des corps. Ce dernier, dans son introduction, peut prendre trois forme

 

- tradionnelle : le sujet contrôle son corps - l'ascèse

- moderne : l'État contrôle les corps - le biopouvoir

- post-moderne : la régulation du vivant - la bioéthique.

 

Dans quel sens peut-on dire que l'Église catholique exerce un biopouvoir ?  

 

Ribera5Jusepe_de_Ribera._St._Paul_the_Hermit.jpg

Saint Paul ermite, José de Ribera, 16° siècle (Wikipédia) 

 

Vatican II a fait l'impasse sur la mise à jour du célibat des prêtres et de la contraception, ces questions étant retirées des discussions des pères conciliaires pour être traitées par Paul VI dans des encycliques spécifiques. Ce dernier a magistralement rappelé que, de même que les prêtres catholiques sont appelés à la continence, les couples catholiques doivent dans le mariage contrôler leur sexualité s'ils veulent limiter les naissances

 

« L'Église catholique, dont la hiérarchie est composée de célibataires, consignerait la tâche de "faire" des nouveaux catholiques à ceux qui sont mariés, qui sont donc invités à enfant non seulement pour un devoir relevant de la morale naturelle, mais aussi pour un devoir spécifique au catholique qui de contribuer, avec une famille nombreuse et une éducation religieuse aux enfants, à fournir à son Église les nouveaux adeptes que la hiérarchie ne peut pas elle-même procréer. »

 

28881.jpgDans un occident de plus en plus sécularisé, l'Église ne pourrait plus se fier au mode de transmission traditionnelle de la foi, alors que l'appartenance religieuse est plus souvent choisie qu'héritée. Elle préférerait alors s'appuyer sur une communauté minoritaire de virtuoses, ce qu'il associe au type sociologique wéberien de la secte (voir zoom), davantage qu'une transmission par l'héritage, ce qu'il associe au type sociologique de l'Église. En cherchant à élever le taux de fécondité de ses membres par rapport au taux de fécondité de sa population, l'Église chercherait à accroître démographiquement son influence. C'est ce qu'il l'autorise à lire le catholicisme comme une forme traditionnelle de contrôle des corps (ascèse) associée à une forme moderne (biopouvoir). Il remarque ainsi qu'un document de la conférence épiscopale italienne  s'appelait "sur la vérité de la sexualité", le régime de la vérité sur la sexualité étant le propre de la modernité selon Michel Foucault. 


ZOOM :

 

Max Weber, Les sectes protestantes et l’esprit du capitalisme (1906)

« Appartenir à une secte (est), pour l'individu, l'équivalent d'un certificat de qualification éthique ; en particulier cela (témoigne) de sa moralité en affaires, à la différence de l'appartenance à une « Église » dans laquelle on est « né » et qui fait resplendir sa grâce sur le juste comme sur l'injuste. En effet, une « Église », corps constitué en vue de la grâce, administre les biens religieux du salut, telle une fondation de fidéicommis. L'appartenance à l'Église est, en principe, obligatoire, et ne saurait donc rien prouver en ce qui concerne les vertus de ses membres. Une « secte », en revanche, constitue en principe l'association volontaire, exclusive, de ceux qui sont religieusement et moralement qualifiés pour y adhérer. C'est volontairement qu'on y entre, si toutefois l'on s'y trouve admis par la volonté de ses membres, en vertu d'une probation religieuse. L'exclusion de la secte pour infractions d'ordre éthique signifiait perte du crédit en affaires et déclassement social. »


 

D'un certaine manière, l'Église catholique ne jouerait pas moins que sa place dans la modernité à travers le contrôle de la sexualité. Ce serait là que se régleraient à la fois le recrutement de ses nouveaux membres, la fabrique de ses futurs clercs, la contestation, par le témoignage de la continence, de la modernité sexuelle, et l'édification d'une identité propre. Ce processus pourrait se lire sur le temps moyen du XXème siècle à partir de l'encyclique Casti conubii (1930) qui, en interdisant d'autres recours aux couples que la continence, cherche à la fois à séparer le catholicisme de l'anglicanisme qui s'engageait sur autre voie et maintenir la spécificité sacrementelle catholique d'un recours fréquent à la confession (voir Martine Sèvegrand ):

 

« Refuser la contraception, la stérilisation et l'avortement là où le gouvernement de manière directe ou indirecte les souhaite ou les permet devrait donc devenir, selon les indications de Rome, une forme de résistance corporelle au pouvoir étatique au nom de la loyauté à l'autorité ecclésiale. La norme morale préchée par Rome et celle légale en vigueur dans l'État sont, dans le domaine de la bioéthique, particulièrement éloignées l'une de l'autre, et représentent donc l'un des terrains où, aujourd'hui, se joue avec plus de violence le conflit entre Église et États nationaux. » (p. 199)

 

 

220px-John Paul II Medal of Freedom 2004La sphère intime deviendrait ainsi un lieu politique pour le croyant catholique. En Italie, l'opposition à la fécondité artificielle et l'avortement auraient été également stratégiquement payants en contribuant à des conversions. Le développement d'une intransigeance catholique serait à l'œuvre dans la mise en place de la thématique de « l'Évangile de vie » (Jean-Paul II, 1995). Comme le spécifie l'encyclique éponyme, quand bien même l'expression ne se trouve pas dans les écritures, il y aurait là la clé pour comprendre le devenir du catholicisme contemporain : 

 

« l'Évangile de vie est l'aboutissement d'un long parcours, commencé bien avant Vatican II qui a de plus en plus porté la question de la vie humaine et de sa reproduction au centre des préoccupations, des stratégies et des discours de l'Église, en réponse à des enjeux qui intéressaient déjà les États nationaux, la science et  l'opinion publique. En même temps, il n'est qu'une étape car le gouverment de la vie n'est pas problème résolu pour les hommes et les institutions aujourd'hui. Le biopouvoir va donc représenter, encore pour quelques temps, l'un des nœuds fondamentaux de la pensée catholique contemporaine, aussi bien qu'un enjeu majeur de l'Église en tant qu'organisation internationale » (p. 202) 

 

L'actualité française a venir ne peut que conforter la conclusion d'Isacco Turina... 

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