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Penser le genre catholique

Ce blog cherche à réfléchir sur la place des corps et des sexes dans les enjeux de sécularisation auxquels doit faire face e christianisme occidental à l'époque contemporaine (XIXe-XXe), et plus spécifiquement la tradition catholique, depuis les années soixante (second féminisme, révolution sexuelle, émancipation des minorités sexuelles). Il s'intéresse également aux expériences militantes et associatives qui portent ces questions au prix d'une remise en cause des normes.

Ce que l’histoire révèle peut-être de la Manif pour Tous du 13 janvier

Un complément plus personnel au post précédent.

Mis à jour le 28 janvier 2013.

 

L’Histoire a été finalement bien peu mobilisée pour comprendre l’ampleur de la manifestation du 13 janvier dernier contre le Mariage pour tous. Peu mobilisée, à l’exception peut-être, d’ une tribune du Monde, passée assez inaperçue, de Danielle Tartakowsky, spécialiste de l’histoire des manifestations et des mouvements sociaux à l’époque contemporaine (1). Cette dernière rappelle, avec justesse et un certain bon sens, que la gauche n’a jamais eu le monopole de la rue. Il existe même une tradition fort bien documentée de manifestations de droite, que ce soient les immenses rassemblements des droites « extraparlementaires » de la Troisième République, la manifestation de soutien à de Gaulle du 30 mai 1968 ou les grandes manifestations contre le projet Savary d’une école publique unifiée en 1984. 

 

Danielle Tartakowsky aurait pu également rappeler également la grande tradition des manifestations catholiques depuis les ligues de la fin XIXe siècle. Elle est peut-être oubliée aujourd’hui mais l’opposition au Cartel des Gauches dans les années 1922-1924 était cristallisée de manière importante par la Fédération Nationale Catholique du Général de Castelnau (). La défense de l’école privée et du statut concordataire en Alsace-Lorraine étaient alors capables de faire descendre des centaines de milliers de catholiques dans les rues. Avec une vigueur qu’on a sûrement oubliée, surtout après la diversification du vote catholique dans l'après-guerre et le changement de ton de l'après-concile dans les années 1960 (2).

 

La Manif pour tous ne revendiquait pourtant aucune étiquette confessionnelle ni politique. Ce panachage renvoie  bien sûr au clivage complexe que crée la question du mariage au sein de toutes les familles politiques. Il est également tactique et symbolique : le mouvement ne souhaitait pas être récupéré par une force partisane unique. On le comprend. Il révèle aussi le rapport catholique français contemporain à la politique. Les évêques français sont depuis plusieurs dizaines d'années respectueux de l’autonomie des laïcs et bien conscients qu’une action trop frontale contre un gouvernement serait contre productive. Vaut mieux avoir recours à des formes indirectes d’engagement politique, par le truchement de passerelles ponctuelles ou spontanées, au-delà même des partis et des groupes confessionnels (3).

 

Pour autant, la Manif pour tous signait peut-être bien le retour de l’action politique d’un certain catholicisme qu’on peut qualifier, question de sensibilité et de point de vue, ou d’intransigeant selon Émile Poulat ou de« conservateur » selon l’usage peut-être plus courant (4). Elle a du mal à cacher son caractère éminement confessionnel: appui explicite de nombreux prêtres et évêques, ressources matérielles venant des diocèses, des paroisses et des mouvements catholiques, mobilisation de militants, notamment parmi les cadres et les porte-paroles, qui ne cachaient pas leur confession... La manifestation a également peu convaincu sur son ouverture à la diversité politique. À l'exception de quelques figures notables, la plus grande partie des élus présents venaient des rangs de la droite et de l'extrême-droite. La défense de la norme sociale catholique passerait-il de plus en plus par l'action directe dans la rue?  Le catholicisme français prend-t-il un aspect plus espagnol ?

 

Ce rappel historique d'une tradition de la rue fort catholique rend ainsi surprenante l’assertion de Jean-Pierre Denis. Rédacteur en chef de la Vie, sur son fil tweeter, il affirmait le 19 janvier dernier avec véhémence : « les cathos dans la contestation [...] cela trouble tout le monde. Il va falloir changer nos grilles de lecture » (5). Non, ne nous troublons pas : il existe depuis la fin du XVIIIème siècle un conflit structurant entre l’État français, certains de ses développements démocratiques, et la hiérarchie catholique. Seulement, il était parfois dépassé grâce à des forces sociales médiatrices et une forme d'intelligence du compromis. Le refus catholique d'une certaine modernité est passée dans l’opposition légitimiste à la République de la fin du XIXe siècle, son catalyseur : l’affaire Dreyfus — dont beaucoup ont souligné combien les divisions qu’elle entraînait au sein des familles faisaient écho à celles de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe — la contestation de la loi de 1905, le refus de l' « école sans Dieu » etc. et se re-configure en permanence depuis. Seulement, des périodes de franches oppositions ont pu laisser place à des périodes plus apaisées. Les positions les plus extrêmes des uns et des autres se recomposer dans des compromis plus ou moins conscients et acceptés, mais, en tout cas, tacitement appliqués.

 

Ce qui est peut-être plus significatif en tout cas c’est la façon dont s’érode l’intelligence catholique de l’action politique modérée qui s’était pourtant élaborée au cours du XXe siècle. Son érosion du côté de ceux tentés d'établir un compromis avec les évolutions nées en dehors des cadres institutionnels du catholicisme. D’un côté, le général de Castelnau faisait des rodomontades contre la République laïciste, qui voulait — « déjà » pourrait-on écrire  — s’en prendre à l’intégrité des familles catholiques et à leurs bonnes mœurs. D’un autre côté, tout un pan du catholicisme, imprégné par la pensée de Maurice Blondel ou de Marc Sangnier, se cherchant dans l’Action catholique ou certains mouvements, tâchait d’élaborer une nouvelle forme d’engagement catholique. Il ne fallait alors plus chercher à partir du dogme ou d’une doctrine préalable à défendre intégralement des menaces qui l’assaillent inévitablement (6), mais chercher à discerner dans son insertion, au ras du social, pas forcément dans des milieux confessionnels, les solidarités à construire et les façons dont s’accomplit, malgré tout, la Révélation.

 

Le retour de la position seulement défensive n’a d'ailleurs pas manqué d’éveiller des critiques de certains acteurs catholiques. Lors de la conférence de presse de mouvements chrétiens ne se reconnaissant pas dans la Manifestation (ACO, David et Jonathan, le christianisme social), le co-président de FHEDLES Gonzague Jobé-Duval développait l'idée d'un combat de toute manière vain. L'évidence du mariage "pour tous" sera sûrement demain équivalente à celle d'autres évolution sociales. Comment occuper alors de manière pro-active le terrain du changement de signification du mariage et de l'évolution des rapports inter-personnels ?(7).

 

Plus généralement, passé le plus dur de la tempête médiatique et politique, peut-être que des catholiques se demanderont ce qu'aurait pu apporter une approche constructive, dès les débats autour du PACS. Comment ? en se penchant sérieusement sur ce que pouvait contenir de légitime le mouvement LGBT : le droit à la reconnaissance, la recherche d’une solution pratique aux questions qui se posent quand deux personnes du même sexe vivent à deux et élèvent des enfants, etc. Le document de la commission famille du Conseil des Évêques de France entrouvrait pourtant la porte cet automne en admettant qu’ « il appartient au pouvoir politique d’entendre la demande d’un certain nombre de personnes homosexuelles de bénéficier d’un cadre juridique solennel pour inscrire une relation affective dans le temps »... Embryon d'une reconnaissance de la légitimité du mouvement d'émancipation des minorités sexuelles, cette position semble s'être diluée dans une posture plus ferme et l'opposition frontale.

 

Derrière une apparente posture constructive, la Manif pour tous cachait d'ailleurs mal son impossibilité à être force de proposition et ses propres divisions. Elle n'est même pas tombée d'accord sur un mot d'ordre revendiquant positivement l'union civile. Le député Jean-Frédéric Poisson (UMP) l'annonçait clairement à l'issue de la manifestation « je ne peux pas admettre que nous fassions une concession de principe à nos adversaires » (Valeurs actuelles). L'organisation d'états généraux de la famille ou d'un référendum sont des propositions en apparence seulement constructives. Elles n'engagent pas sur un contenu précis et donnent parfois l'impression d'être juste un moyen de gagner du temps pour occuper les médias en exposant des positions qui ne sont de toute manière pas négociables. L'appel au débat cache parfois mal la recherche de tribune pour exposer un seul point de vue.

 

La défense coûte que coûte d’une anthropologie naturaliste, même si elle est recouverte d'un vernis marketing jeune et branché, allant de la musique techno aux chorégraphies bon enfant, ne répondra d'ailleurs peut-être pas, à terme, à la marginalisation sociale que craignent les responsables catholiques. La Manif pour tous apparaît ainsi pour le politiste Philippe Portier, dans un entretien avec une journaliste du Monde, à double tranchant. Elle risque « d’éroder le capital de sympathie que [l’institution] avait pu se constituer auprès des élus et d’une partie de l’opinion publique » et affaiblir sa voix sur d’autres sujets comme l’école, la gestion de la pauvreté, l’immigration, etc., quand bien même elle engendre l’énergie spécifique d’une mobilisation « identitaire » (8).

 

Anne Soupa, la co-fondatrice du mouvement de laïcs la Conférence Catholique des Baptisé.e.s de France, va plus loin en parlant d'un risque « populiste ». Derrière une apparente et positive énergie, la théologienne voit une forme de faiblesse qui se loge dans l'exploitation des peurs que créent nécessairement les changements sociaux : « visage patelin et effets de foule, mais le populisme était surtout omniprésent dans les argumentaires, dont la bonhommie masque mal les méfaits. L'institution Église a abondamment soufflé sur l'inquiétude des familles par un discours catastrophiste, allant jusqu'à insinuer qu'il y avait complot » (9). Sans appel, elle voit la manifestation comme l'aboutissement d'un processus entamé il y a une quinzaine d'années, marqué par « l'exaltation de la loi, de la morale, de l'obéissance, du cléricalisme, d'une vérité immuable, d'une spiritualité désincarnée »...

 

Anne Soupa ne veut toutefois pas perdre espoir au nom de sa foi : « demain, parmi les personnes qui ont défilé, beaucoup évolueront, comme pour la pilue, le divorce, le pacs. L'homosexualité, Dieu merci, fera moins peur [...]  l'avenir des populismes est connu: leurs troupes leur sont infidèles, tandis que leurs slogans d'hiers leur collent aux doigts. Les vaches maigres sont pour bientôt. Restera à l'Église à rentrer en elle-même [...] de Celui à qui elle avait donné sa foi ».

 


(1) TARTAKOWSKY, Danielle « La ‘Manifestation pour tous’ a oublié l’histoire des mobilisations de droite », 14 janvier 2012.

 

(2) Aujourd’hui, il n’existe toutefois plus de comités électoraux qui envoient des consignes aux catholiques en classant les candidats pro ou anti catholiques comme le faisait la FNC. Quoique : certains sites de laïcs catholiques comme le Salon Beige (en dehors de toute reconnaissance officielle catholique) n’hésite plus à lister par certains items (euthanasie, mariage pour tous, avortement) les candidats aux élections législatives établissant une cartographie des bons et des mauvais. Si cela se fait sans aucune caution de l’épiscopat français, on peut voir une forme de reconnaissance institutionnelle de cette pratique dans la logique des points non négociables de Benoît XVI que nous avons déjà évoqué sur ce blog.

 

(3) Les évêques savent d’expérience qu’en France la démocratie chrétienne n’a jamais réellement fonctionné en dehors de l’épisode MRP d’après-guerre et que les catholiques sont aujourd'hui trop éclatés politiquement pour s'impliquer trop directement dans une voie unique. Comment analyser par exemple l’ « Entente Parlementaire pour la Famille » ? Cette dernière regroupe les députés opposés à certaines réformes sociétales dont il serait intéressant de connaître de manière plus détaillée les convictions idéologiques et les parcours individuels.

 

(4) quand bien même les acteurs de la Manif pour Tous récuseraient cette étiquette.

 

(5)  https://fr.twitter.com/jeanpierredenis

 

(6) En France, le logiciel démocratique contemporain est né du refus de l’intelligence catholique médiévale du pouvoir et de l’humain.

 

(7) MASSILLON, Julien, « Religions et mariage pour tous : des croyant-e-s veulent faire entendre leur différence », 17 janvier 2013.

 

(8) LE BARS, Stéphanie  « Mariage pour tous : l’Église a constitué un point de ralliement là où les parties politiques ne le sont plus », 12 janvier 2013.

 

(9) SOUPA, Anne « Église catholique: la tentation du populisme », 21 janvier 2013. 


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S
très intéressant cet article.
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B
excellent article! Il faut effectivement aller faire un tour du côté de l'histoire pour se rendre compte des continuités et produire une meilleure analyse du présent!
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