21 Mai 2014
Depuis quand les catholiques parlent-ils de « théorie du genre » ? Du factuel du bon aloi qui était très attendu a été rappelé, notamment lors du discours d’introduction par l’un des organisateurs clés David Paternotte (ULB).
Pourquoi le milieu des années 1990 pour comprendre l’essor de cette dynamique catholique de mobilisation? Éric Fassin (Paris 8), dans son papier, a pu montrer qu’à partir du moment où l’universalisme du discours des droits de l’homme tendait de plus en plus intégrer la lutte contre l’inégalité homme-femme, les droits reproductifs et les droits LGBT, le Vatican s'est mis à disqualifier les droits de l'homme et leurs orientations contemporaines au nom du culturalisme exacerbé, exprimé comme un «relativisme», et la mise en exergue d’un nouvel «universal» (au sens de la querelle des universaux), qui serait fondé sur la nature et qui s'exprimerait par le « droit naturel ».
Les " forêts tropicales " du mariage hétérosexuel - Cairn.info
Tout dialogue entre la théologie et les sciences sociales, en matière de loi naturelle, suppose de distinguer clairement celle-ci des lois de la nature. En effet, s'il est possible de confronter loi
http://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2010-HS-page-201.htm
"Les "forêts tropicales" du mariage hétérosexuel", un article d'Éric Fassin paru dans la RETM.
Lors de la séance inaugurale, une intervenante issue du champ de l’engagement plus politique, Alexandra Adriansens, présidente de la direction à l'égalité des chances de la Fédération Wallonie-Bruxelles, a témoigné avec beaucoup d’émotion et, comme un appel à l’aide du côté de l’université, dans ce sens. J'ai été touché par son témoignage sur la remise continue en cause du terme de genre dans la décennie 2000 et au-delà dans les conférences onusiennes et auprès des sessions du Conseil de l’Europe. Pendant longtemps, les mouvements féministes qui souhaitaient, généralement, dépasser 1995 en viennent surtout aujourd'hui à vouloir seulement en conforter les acquis. Alexandra Adriansen nuance ainsi les conclusions adoptées pour « Pékin + 15» (2010) à l’issue de la réunion de la commission onusienne sur le droit des femmes. Unanimes comme on l'a alors dit dans la presse ? mais, au prix de nombreuses coupes, concédées suite au blocage portée par une coalition entre l’Iran, la Russie, l’Union Africaine… et le Saint-Siège. Idem, en 2011, avec le terme « gender » supprimé de tout le texte et l’impossibilité de faire adopter une résolution finale… On retrouve ainsi le Saint-Siège s'alignant sur la politique internationale de pays ne respectant pas les droits humains fondamentaux pour contrer l'extension du terme genre, des droits reproductifs et des droits LGBT.
Un effet performatif
Sur un temps plus court, l'explication donnée par la sociologue Sara Garbagnoli (EHESS) m'a plutôt convaincu. Cette dernière a cherché à comprendre comment le syntagme "théorie du genre" est en lui-même opératoire. Il déploie un horizon performatif et construit, en le nommant, un ennemi intellectuel unifié, d'où son expression de "rite performatif opérant". Si l'expression "théorie du genre" est présente dans le Dictionnaire des termes ambigus et controversés du Conseil Pontifical de la Famille et employée, dès les années 1990, par Tony Anatrella, elle connaît une période de latence avant de connaître un essor dans le débat public au cours des années 2000. En France, l'envol vient véritablement des mobilisations sociales autour du mariage pour tous. En Italie, la "greffe" lexicale prend également, au prix même du paradoxe : les études de genre ne sont même pas organisées à l'université…
Faut-il en réalité remonter aux années 1990-2000 pour comprendre la situation actuelle ? Cette analyse a été astucieusement complétée par la lecture complémentaire proposée par le politiste Romain Carnac (EPHE). Ce dernier a bien montré comment, le discours romain sur la différence des sexes et le féminisme, ne doit pas surinterpréter, et surtout pas autour des années péri-conciliaires et d’aggiornamento, la conversion à la rhétorique d l’égalité hommes-femmes. Celle ci n’est possible que si elle ne remet pas en cause la morale conjugale traditionnelle (Humanae Vitae 1968), l’organisation des ministères (Ordinatio sacerdotalis 1976), et, de manière générale, l’économie générale des rôles sociaux dans lesquels les femmes seraient privées de leur « génie propre » (Mulieris dignitatem)...